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Pourquoi Molière résiste à Shakespeare

27/08/2018

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Il est deux résultats qui ont de quoi faire rougir l’élève France au sein de la classe européenne : son niveau (trop haut) de chômage et celui (trop faible) en langues étrangères, en anglais notamment.

Les œuvres rhabillées à la mode de chez nous

Pour combattre l’envahisseur anglais et défendre coûte que coûte sa place de langue parmi les plus influentes au monde, la France jouit d’une arme longue distance (l’Alliance française, plus de 800 écoles implantées dans 133 pays) et d’un bouclier imperméable, l’Académie Française. Celle-ci publiait au printemps dernier un lexique bilingue visant à valoriser l’usage de la langue de Molière parmi les adeptes des jeux vidéo. Si les formulations conseillées prêtent à sourire (« visionnage boulimique » pour « « binge watching »), la démarche en dit long sur l’importance que cette institution prête au statut de quatrième langue la plus pratiquée sur internet et la cinquième dans le monde. D’autant plus que cette protection renforcée de la langue trouve désormais un écho au sommet de l’Etat, par les saillies désuètes d’Emmanuel Macron ou le rejet de l’écriture inclusive porté par Edouard Philippe. « L’anglais doit être perçu comme un outil, et non comme un concurrent à la langue national », regrettait à ce propos Dr. Christopher McCormick,  

Hasard de la géographie, à quelque pas des bâtiments d’EF Education se trouve un lieu très symbolique de cette résistance linguistique : le Théâtre Mogador qui,  contrairement au Châtelet, traduit systématiquement les comédies musicales qu’elle programme. Un choix qui peut sembler risqué lorsque les chansons originales résonnent depuis plusieurs décennies dans l’inconscient collectif et la culture populaire. Après Cats ou Sister Act, c’est actuellement au tour de Grease de subir un petit toilettage à la française, en attendant Chicago l’année prochaine. Si ce choix cause bien des sueurs froides aux puristes, le producteur Stage Entertainment assume, l’objectif étant de proposer des sorties familiales et accessibles au plus grand nombre. Exit donc les surtitres en application au Châtelet ou à La Seine Musicale.

 

Il faut dire que, contrairement à nombre de ses voisins européens, la France n’est guère habituée aux sous-titres, elle qui est réputée de par la monde pour le professionnalisme de ses doublages. Avant les années 2010 et l’arrivée des chaînes multilingues, seules Arte et Canal+ se risquaient aux diffusions en version originale sous-titrée (VOST) et une étude menée par le Media Consulting Group en 2007 avait même démontré que le choix de la VOST entraînait une baisse d’audience d’environ 30 %. De quoi contraster avec certains pays européens pour qui la version originale est la norme audiovisuelle. Mais la propagation d’internet a grandement contribué à changer cet état de fait, notamment pour les adeptes de séries, contraints de se plier aux versions anglophones pour suivre le rythme de diffusion américain. De quoi lier le niveau d’anglais d’un pays à la densité de sa connexion, et créer par ricochet un écart générationnel.

La langue, outil inclusif

Langue internationale des échanges, l’anglais s’est très logiquement imposé sur internet où elle reste la langue la plus utilisée malgré un recul rapide et marqué (75 % des pages en 1998 contre 30 %  seulement aujourd’hui).  Malgré tout, c’est dans la langue de Shakespeare que se véhiculent encore la modernité et l’innovation. Des réseaux sociaux aux travaux de recherche en médicine en passant par les startups, il faut speaker English pour parler actuel. L’emploi n’est pas insensible à cette tendance, qui multiplie les « job datings », s’interroge sur le « lean management » et mise sur le « big data » pour recruter les bons profils.

Enrichissement normal de la langue pour certains, cette évolution n’est pas sans poser quelques soucis sur le plan social. En effet, parce qu’il se sert du net et des nouveaux outils de communication comme vecteurs, l’anglais est mieux parlé par les jeunes générations que par leurs aînés. Le baromètre EF-EPI met en lumière ce phénomène et démontre que chaque génération possède un niveau de langue supérieur à celui des précédentes. De quoi se gargariser d’une progression constante, certes, mais aussi s’inquiéter d’une mise à l’écart d’une partie de la population, moins connectée et donc moins exposée à la langue des échanges. L’anglais peut ainsi participer à la fracturation d'un pays, en tenant éloigné du marché de l’emploi des groupes déjà fragilisés (les seniors, notamment). De quoi expliquer le succès jamais démenti des formations en langues, sur le podium des demandes depuis leur prise en charge par le compte personnel de formation et en constante augmentation selon Pôle Emploi. « Ma patrie, c’est la langue française », déclarait Albert Camus au moment de recevoir le Prix Nobel, soulignant par là le rôle de la langue dans la cohésion d’un peuple.  Ainsi s’explique peut-être la place occupée dernières dans les pages d’actualités par les considérations linguistiques, alors même que la question de l’identité cimente les débats.

 

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